La décision de débarquer, mercredi 26 novembre 2014, Abdelfattah Mourou, l’une des personnalités politiques islamistes d’un avion avant son décollage de la Tunisie, fait couler beaucoup d’encre. S’agit-il d’une erreur ? Serait-ce une décision en rapport avec le changement de la politique de l’Administration d’Obama envers les pays du printemps arabe, ou tout simplement une décision souveraine dont même l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique n’a pas été informée ?
Le fait est que le vice-président du mouvement Ennahdha a pu enfin prendre, ce jeudi, l’avion en compagnie de son épouse pour Munich puis Chicago aux USA où il assistera à une conférence des Américains originaires de la Palestine, comme il l’avait fait à trois reprises successives par le passé.
Dans une déclaration à Shems, il a indiqué que le département d’Etat américain l’a contacté à 2 heures du matin ce jeudi, pour l’informer qu’il n’y a pas une position contre son entrée en territoire américain et que son débarquement était dû à « une erreur matérielle ».
« J’ai renouvelé ma réservation, je suis à bord de l’avion à destination de Munich puis Chicago », a-t-il indiqué, ajoutant qu’il essayera d’en savoir plus sur cet incident une fois aux Etats-Unis.
En attendant que les choses soient tirées au clair, on croit savoir que le fait que Abdelfattah Mourou ait été débarqué de l’avion n’était pas due à une simple interdiction ou une erreur, mais aurait été décidé dans le cadre d’un projet de loi, débattu actuellement au Congrès Américain entre sénateurs et représentants de l’administration d’Obama qui pourrai aboutir au classement d’ Ennahdha comme un « mouvement terroriste ».
Les USA ont déjà mis 20 personnalités appartenant au Parti Ennahdha sur la liste des personnes interdites de s’y rendre dans l’attente de la décision finale des sénateurs, selon le Portail de l’Afrique (Bouabat Ifrikia) qui cite des sources tunisiennes.
On rappelle que, au départ, les USA avaient opté pour la propagation de l’islam radical dans la région. Mais, avec l’avènement du printemps arabe, l’administration américaine a fait remarquer que « les peuples des pays du printemps arabe se sont exprimés, se sont révoltés et ont décidé du sort de leurs pays d’une nouvelle manière, d’une envie de faire changer les choses et de faire face à des régimes dynastiques ».
En fait, BarackObama, n’a pas ménagé ses efforts pour concilier son administration avec les islamistes. Peu après son élection, il s’est rendu à Ankara en Turquie en Avril 2009 pour sceller un rapprochement avec l’ islamisme au pouvoir , et est allé en Egypte où il a prononcé en juin 2009,un discours « historique » que les observateurs ont déchiffré comme un message adressé aux islamistes qui s’apprêtent à détenir le pouvoir. Au Caire, Obama a fait l’éloge de l’islam politique appelé « islam modéré » un concept qui a été contesté par plusieurs islamistes qui pensent que l’islam est par essence modéré.
Après les deux discours du Caire et d’Ankara, Obama a envoyé plusieurs signaux à ses nouveaux alliés, qui étaient classés comme ennemis par les différentes administrations aussi bien républicaines que démocrates, par lesquels il s’engage à fermer la fameuse prison « Guantanamo » qui a accueilli les islamistes du monde entier.
Obama ne s’est pas limité à ces mesures-là, il a décidé d’opérer un changement radical de la politique étrangère américaine en laissant tomber l’ami historique des USA, Hosni Moubarak, en orchestrant le renversement de Kadhafi, et en affichant une grande résistance aux appels adressés par les alliés des USA pour leur implication en Syrie, surtout depuis l’usage par Bachar Al Assad des armes chimiques en été 2013. Parallèlement, Obama a maintenu le calendrier pour le retrait des troupes américaines d’Afghanistan et d’Irak, fixé auparavant. Bref, il a multiplié les mesures lui permettant de renforcer les contacts avec les Frères musulmans, dans la région , qu’ils soient au pouvoir, portant les armes contre les régimes en place ou s’opposant à leur départ du pouvoir.
L’administration américaine était toujours convaincue, certaine et persuadée que les Frères musulmans représentent l’Islam modéré capable d’instaurer la démocratie et le progrès, dans la région.
Devant l’embrasement de la région, l’émergence de l’Etat Islamique (EI) en Syrie et en Irak, et l’allégeance de plusieurs groupes terroristes de part la région arabe à l’EI, aussi bien dans les pays du Maghreb, au Yémen, en Arabie Saoudite et dans les pays du Golfe, les Etats-Unis ont commencé à se rendre compte de l’« échec » de leur politique étrangère et sécuritaire. Ils ont donc amorcé un revirement, surtout après le basculement de la majorité au Congrès, devenue républicaine, à l’issue des élections du début du mois de novembre 2014.
La forte montée des républicains aurait-elle déjà poussé Obama à revoir sa stratégie dans les pays du printemps arabe. Le premier pas à faire aurait-il été de freiner l’élan de l’ascension politique des islamistes dans les pays où les modernistes sont en bonne posture (la Tunisie) ou d’aider à inverser la tendance hégémonique des islamistes en reconnaissant les nouvelles réalités (Egypte). Débarquer Mourou de l’avion qui devrait l’amener aux Etats-Unis et interdire à 20 dirigeants d’Ennahdha d’entrer aux Etats-Unis serait-elle la première goutte d’une averse d’automne (Ghazssalet Ennouader) en pleine campagne électorale des présidentielles, en Tunisie. Le reste de la stratégie sera-t-il dévoilé après les résultats définitifs ?
Dans toute cette affaire, on ne manquera pas d’être interpellé par le silence des autorités tunisiennes, surtout du ministère de l’Intérieur qui n’a fourni aucune explication concernant cette péripétie du voyage de Mourou. On attend la suite !
Issam Khemakhem
