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Tunis- L’aile internationale d’Ennahdha : quel bilan?

Quel jugement pouvons-nous porter sur l’aile internationaliste d’Ennahdha ? Il est difficile de le dire, car le rôle joué par cette aile au sein du parti islamiste prend parfois un aspect négatif, mais par moments ce rôle devient positif.

Cette aile a imposé au pays, au retour de Rached Ghannoouchi de Londres, un agenda portant sur la radicalisation de la révolution et sa jonction avec les évènements du printemps arabe, de manière à atteler la politique étrangère tunisienne à la remorque de la Turquie, du Qatar, du Hamas et du gouvernement égyptien du temps de Mohamed Morsi. Mais les tenants de cette ligne au sein d’Ennahdha étaient les premiers à s’apercevoir que les puissances étrangères ont brandi le carton rouge devant les Frères Musulmans et leur intimant l’ordre de quitter le pouvoir.

L’émergence de cette aile a une histoire. La révolution tunisienne du 14 janvier 2011 a pris l’allure d’un long fleuve tranquille. Le grand bouleversement s’est déroulé dans le calme et les exigences des forces révolutionnaires étaient claires et convaincantes et aucune résistance n’a été manifestée pour s’opposer à la réalisation de ces exigences. Les attentes des forces révolutionnaires étaient sérieusement prises en compte par les premiers gouvernements de la révolution, mais tout le monde savait que leur satisfaction nécessitait du temps, du travail et surtout de la stabilité. L’organisation islamiste qui opérait dans la clandestinité a vite adhéré à cette analyse, annonçant à ceux qui voulaient l’entendre qu’elle n’était pas pressée de s’ introduire dans la vie publique et qu’elle voulait le faire de manière progressive. Reconnaissant qu’elle n’a pas pris part à la révolution et qu’aucun slogan islamiste n’a été scandé au cours du processus révolutionnaire, elle disait vouloir se consacrer à la reconstruction de l’organisation, et que les prochains scrutins, qui devraient se dérouler dans le cadre de la constitution de 1959 (présidentiel dans les 60 jours et législatif quelques mois après), ne sont pas prioritaires pour elle. Adhérant à l’idée admise pratiquement par tous les partis et courants politiques dès les premiers jours de la révolution, les islamistes ne paraissaient pas intéressés du tout par le scrutin présidentiel, et ne l’étaient que partiellement par le législatif, promettant de ne se présenter que dans quelques circonscriptions, juste pour constituer un petit groupe parlementaire qui fera entendre leur voix sans plus. Mais à la fin du mois janvier 2011 à l’arrivée de Rached Ghannouchi de Londres, le ton a commencé à changer. Sitôt débarqué en Tunisie, dimanche 30 janvier 2011, Rached Ghannouchi reprend les rênes de l’organisation. Il annonce, un certain vendredi 4 février 2011, dans l’enceinte de la Mosquée de la Zitouna, devant des télévisions étrangères, dont Al Jazeera International, le rôle avant-gardiste de la Tunisie, voulu par Dieu, par le passé, dans la diffusion des valeurs de l’islam en Afrique et en Andalousie, et aujourd’hui pour la propagation des Révolutions contre l’oppression et pour les libertés dans la région. A ce moment-là, la Révolution égyptienne venait juste de se déclencher, et les Libyens ne pensaient même pas à se révolter contre Kadhafi.

Les islamistes sous la houlette de Rached Ghannouchi, qui voulaient aller jusqu’au bout de la révolution tunisienne, ne pouvaient pas être entendus s’ils étaient seuls à tenir ce discours. Ils ont été soutenus par les dirigeants de l’extrême gauche et Ahmed Mestiri qui avaient tenu un discours similaire et voulaient radicaliser la révolution. Les uns constataient que la révolution était molle, et n’avait pas assez pris aux riches ni chambardé suffisamment les institutions établies et Ahmed Mestiri redoutait de voir cette révolution reproduire les ouvertures ratées de 1970, 1980 et 1987. Et on connaît la suite avec l’adoption, fin février2011, du choix de la Constituante.

Une fois reconnue par les chancelleries et les partenaires politiques comme principal décideur, l’aile internationaliste d’Ennahdha encourage le départ des Tunisiens dans tous les foyers de guerre dans le monde, scelle à partir d’octobre 2011 un accord avec les Libyens pour militariser la révolution syrienne et s’oppose pratiquement à tout retour au calme en Libye avant le succès des islamistes en Syrie. Cette aile qui se radicalise de jour en jour, soutient les groupes terroristes au Nord Mali et couvre, au moins politiquement, l’attaque contre l’ambassade américaine le 14 septembre 2012, opérant, de facto, une jonction entre la révolution tunisienne et toutes les formes de contestation dans la région et dans le monde arabe.

En Tunisie, cette même aile monte de toutes pièces le sit-in « des médias de la honte » de janvier à avril 2012, crée les Ligues de la Protection de la Révolution (LPR) et n’hésite pas à utiliser la manière forte contre les autres forces politiques et sociales dans le pays, faisant usage de la matraque et de la chevrotine pour mater toute opposition ou velléité de contestation ( le 9 avril 2012 et les évènements de Siliana).

Mais lorsque la situation devient critique après les deux assassinats de Chokri Belaid et surtout de Mohamed Brahmi, c’est cette même ligne internationale qui prend acte des suspicions des décideurs internationaux envers l’islam politique, et plaide au sein d’Ennahdha pour un changement de cap, allant même jusqu’à appeler au remplacement du gouvernement de la troïka par un autre, technocrate. Des informations faisaient état à l’époque d’un isolement de Rached Ghannouchi au sein des instances du parti, et d’un rejet de ses thèses à une grande échelle. En fait, il n’était pas facile de convaincre les récalcitrants, et Ghannouchi n’a pu avoir gain de cause qu’en brandissant les menaces qui pèseraient sur Ennahdha et ses dirigeants au cas où ce choix ne serait pas retenu.

Ces derniers jours, des informations ont fait état d’un rôle que les Algériens voulaient faire jouer à Rached Ghannouchi pour ramener le calme en Libye et dans la région, mais qui a été perturbé par Rejeb Tayep Ordogan, le président turc fraîchement élu. En fait Rached Ghannouchi aurait intercédé auprès des islamistes libyens qui sont à l’origine d’un imbroglio juridique sans précédent pour reconnaître le nouveau parlement dans lequel ils n’ont recueilli qu’une simple minorité. Après la démission du gouvernement de Abdallah Al Thanai qui émane du parlement caduc, c’est Ordogan qui s’attaque au nouveau parlement légitime réuni à Tobrouk, indiquant à la chaîne Al Jazeera (quelle coïncidence !) que ce parlement n’a aucune légitimité pour nommer un chef du gouvernement ni approuver son cabinet. Mais au bout de quelques heures, il se déjuge en exprimant, lors d’un appel téléphonique au président du nouveau parlement libyen, Salah Akila Issa, son soutien au processus engagé, surtout après que Washington, Paris et Rome ont reconnu la légitimité de la Chambre des députés, tout comme l’ONU et l’Union européenne.

Et après avoir chassé les membres du gouvernement Al Thanai de leurs bureaux à Tripoli et appelé le parlement caduc (Congrès National Général/CNG) à reprendre ses travaux, Fajr Libya qui projetait de désigner un autre chef de l’Exécutif, a annoncé «sa reconnaissance des résultats des élections» du parlement de Tobrouk. L’opération Fajr Libya et peut-être Ordogan lui-même et avec eux Rached Ghannouchi ont en fait réalisé que des consultations étaient en cours pour l’application des sanctions prévues par la résolution 20174 du Conseil de Sécurité de l’ONU, contre toute institution ou personne qui entrave la transition démocratique en Libye. Le porte-parole de Fajr Libya a souligné que les réserves formulées par son groupe sont d’ordre «formel», portant uniquement sur la passation des pouvoirs entre le CNG et le nouveau parlement.

Ces hésitations et trébuchements montrent que l’aile internationale des islamistes tunisiens, de par ses engagements mondiaux n’a pas d’agenda purement national, et les positions qu’elle prend dans le sens des intérêts du pays se font par accident. Ce qui impose de ne pas laisser la politique nationale, au gré des vents, entre les mains de cette ligne.

Aboussaoud Hmidi

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