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Affaire des martyrs et blessés de la Révolution : les tribunaux d’exception, une justice sur mesure !

Il existe en Droit un adage qui dispose que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ». C’est un principe retenu dans pratiquement toutes les législations dans le monde et de tout temps. Curieusement, cette règle a ostensiblement échappé à la science de notre législateur incarné par les députés de l’Assemblée nationale constituante, et singulièrement par la commission de législation générale qui vient d’élaborer le projet de loi relatif à la création de juridictions spécialisées dans les affaires des martyrs et blessés de la Révolution. Cette commission a péremptoirement décrété tout de go, dans l’article premier de son projet de loi que « il sera créé des instances judiciaires spécialisées dans les affaires relatives aux martyrs et blessés de La Révolution qui seront constituées dans tous les tribunaux de première instance et les cours d’appel de Tunisie ».

Juridictions spécialisées, quel euphémisme ! Autant appeler un chat un chat et écrire noir sur blanc des « tribunaux d’exception ». S’agirait-il de contourner l’article 110 de la Constitution fraîchement promulguée qui stipule que « sont interdites, la création de tribunaux d’exception et l’édiction de procédures exceptionnelles de nature à porter atteinte aux principes d’un procès équitable ». La ficelle est un peu grosse, mais passons, sans pour autant omettre d’attirer l’attention du législateur en herbe sur l’impérieuse interdiction de changer quoi que ce soit à cette autre disposition de la Loi fondamentale, nommément l’article 149 édicté au titre des dispositions transitoires qui stipule que « Le tribunal militaire continue d’exercer les prérogatives qui lui sont attribuées par les lois en vigueur jusqu’à leur amendement, conformément aux dispositions de l’article 110 ».

En choisissant de faire figure et des figures d’acrobate, le législateur apporte la démonstration claire et irrécusable qu’il est en train de violer une loi suprême dont il est lui-même l’artisan. L’initiative est entachée d’une gravité extrême qui en dit long sur l’impéritie et l’incompétence de ceux et celles qui ont vocation à s’occuper de choses qui vont régir l’architecture constitutionnelle, législative et juridique, non seulement des Tunisiens d’aujourd’hui, mais aussi et surtout celle des générations futures.

En s’attachant à dessaisir les juridictions militaires d’attributions solennellement reconnues par plus d’un texte de loi dans le cadre de lois tout aussi solennellement édictées, le Parlement s’emmêle ostensiblement les pinceaux. Certes, le verdict de la cour d’appel militaire n’est pas encore définitif, puisqu’un pourvoi en cassation devrait être formé sous peu, mais il est établi que la cour de cassation qui a mission de vérifier si la loi a été appliquée, ne rend pas, dans ses arrêts, des jugements, mais renvoie devant une juridiction autrement composée, l’affaire sur laquelle elle statue. Or, il se trouve qu’il n’existe en Tunisie qu’une seule et unique cour d’appel militaire. Autrement dit, l’affaire sera renvoyée devant la même juridiction qui a rendu le verdict en question mutatis mutandis, c’est-à-dire en changeant ce qu’il faut changer, en d’autres termes les magistrats qui vont connaître de l’affaire.

L’incohérence est telle que le conseil national de l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT), tout en mettant en garde contre toute instrumentalisation politique de la magistrature dans les tiraillements politiques et appelant à l’accélération du processus de la justice transitionnelle, a souligné le risque d’une  » ingérence législative  » pour créer des instances judiciaires et prendre des mesures exceptionnelles non conformes à la Constitution. Autant comprendre que les magistrats de la justice judiciaire ont renvoyé à leurs chères études les députés pour revoir leur copie, pour ne pas dire y renoncer.

Et puis, les Tunisiens qui ont pensé que l’ère des tribunaux d’exception est révolue à jamais, se retrouvent en face d’un « remake » de ces juridictions que même le président déchu Ben Ali n’a pas cru bon d’y avoir recours s’agissant des procès à connotation politique et terroriste, préférant saisir de ces affaires les tribunaux de droit commun, « un artifice vache mais régulier ».

Il serait enfin difficile de conclure sans rappeler à ces messieurs dames de l’ANC qu’une juridiction d’exception n’est pas une cour de justice qui juge une affaire parmi d’autres, qui existe en permanence, avec ses juges et les lois qu’elle applique. Il s’agit d’un tribunal qui est créé pour l’occasion. Comme si on inventait un tribunal spécial en fonction du crime qui a été commis et dont on espère juger les coupables. Presque un tribunal sur mesure.

Mohamed Lahmar

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