AccueilLa UNEEnquête : La véritable histoire de Carthage Cement.

Enquête : La véritable histoire de Carthage Cement.

Il y a quelques semaines, à l’occasion d’une rencontre économique au siège de l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises, un intermédiaire boursier a interpellé le ministre des Finances sur  le cas du second cimentier public en bourse après Ciment de Bizerte, Carthage Cement. L’intermédiaire criait au scandale et traitait sa cotation de danger pour la bourse, allant jusqu’à demander l’arrêt de sa cotation. Nous avons voulu en savoir davantage et avons,  pour ce faire, contacté toutes les parties qui ont touché à ce dossier et avons même visité le site de la cimenterie, encore en construction.

A notre sens, et après avoir entendu presque toutes les parties, de la conception du projet et son business plan à la direction de l’entreprise, ceux qui cherchaient « le hic » dans ce projet se seraient vraisemblablement trompés de cible. Le couac ne serait pas dans Carthage Cement telle qu’elle est maintenant. L’entreprise, désormais sous administration judiciaire et prochainement entre les mains de l’Etat sous le régime de la confiscation, fonctionne normalement, réalise des bénéfices et travaille d’arrache-pied à la construction de l’usine de ciment. Le hic, s’il faut en chercher un, serait plutôt, essentiellement à deux niveaux. D’abord dans l’association entre Lazhar Sta et Belhassen Trabelsi.

Lazhar Sta & Belhassen Trabelsi : une association au parfum d’arrangements win-win.

Le premier, Lazhar Stat, était un homme d’affaires qui exploitait une modeste carrière d’agrégats pour bâtiment, constituée avec Salah Manaï qui quittera l’affaire par la suite. Avant l’entrée de B. Trabelsi, Lazhar Sta n’était pas encore totalement clean en matière de dettes bancaires, notamment auprès d’une banque comme Amen Bank. Ses comptes et sa comptabilité n’étaient pas encore transparents dans la mesure où l’entreprise ne faisant pas appel public à l’épargne ne publiait pas ses bilans qui étaient la seule affaire de Lazhar Sta et ses banquiers.

Une simple comparaison des bilans de GCN (Grandes Carrières du Nord), avant et après l’entrée en bourse, donne pourtant un nouvel éclairage. On découvre ainsi que le chiffre d’affaires de CGN, en 2007, n’était que de 9,7 MDT (source Rapport du commissaire aux apports en septembre 2008 lors de la scission de la GCN). En 2008 et avec l’entrée de Belhassen Trabelsi comme associé, le CA était déjà monté à  13,6 MDT (Rapport CAC de CC). 2009, c’était  13,8 MDT (Rapport CAC de CC) et en 2010 le chiffre, désormais clean et transparent, était monté à  23 MDT (indicateurs d’activités).
Même cheminement ou presque du résultat net (RN). En  2007, la GCN  ne gagnait que  905 345 TND. Trois ans plus tard, il  est prévu à 4,5 MDT, après les 2,9 MDT de 2009. Si cela démontrait une chose, c’est que GCN gagnait de l’argent, bien avant sa cession à CC, sauf que cela ne se voyait pas.
Le second, Belhassen Trabelsi, était un homme d’affaires, disons-le, intelligent en affaires. Un homme d’affaires, non possédant, mais développeur et revendeur. Il n’y a  qu’à voir tout ce qu’il a fait de ce qu’il avait créé en Tunisie. Il avait constitué Karthago Airlines, l’avait développée, fait entrer en bourse, y a fait son beurre, l’a retirée par une OPR où tout le monde a gagné, lui et les petits actionnaires et l’a refourguée à Aziz Miled. Il prend ainsi le beurre et l’argent du beurre.

 Il a créé des hôtels, puis les a revendus aux Libyens de Laico. On le verra après, il comptait faire la même chose avec Carthage Cement, dès qu’il avait reçu les premiers indices d’un intérêt étranger croissant à cette entreprise, qui restera comme le dernier ticket en matière de fabrication de ciment en Tunisie. Il avait même pour cela, racheté, dès décembre 2010, une grande partie de leurs parts à certaines banques, comme l’ATB et l’Amen Bank, pressées  d’enregistrer des plus-values dans leurs bilans 2010.

Belhassen était entré dans l’association avec presque rien, si l’on exceptait l’agrément de la cimenterie que Lazhar Sta n’aurait jamais pu obtenir tout seul. Cet agrément constituait presque une sorte d’apport en nature dans l’association. L’agrément constituait aussi, cette fois pour Lazhar Sta, le moyen inespéré de réévaluer le coût de sa carrière. En effet, entre une carrière de simple agrégat pour le bâtiment et une carrière de matière première pour le ciment, l’évaluation de sa carrière était multipliée par dix, sinon plus. Dès lors, et selon des sources proches du dossier, Sta fera endosser à la CGN toutes ses anciennes dettes ainsi que les dettes de certaines de ses sociétés. La carrière prenant désormais avec l’agrément de la cimenterie en poche une autre valeur, Sta s’arrange avec les banques pour diminuer ses dettes par le jeu de l’abaissement des agios et des pénalités de retard, prend crédit de consolidation sur le dos de la CGN, en même temps pour nettoyer ses comptes avec ces créanciers (nombre de ces dettes étant déjà provisionnées, cela rendait l’arrangement plus facile). Dans tout cela, et selon des sources proches du dossier, Belhassen n’aurait pas mis plus de 250 mille DT de sa poche dans son association avec Lazhar.

Chez CC, on nous explique que, «comme expliqué dans le prospectus d’introduction, page 100, des arrangements ont été faits concernant des dettes inscrites sur le titre foncier de Djebel Ressas, objet du transfert réalisé à Carthage Cement, et ce pour le paiement de l’ensemble de ces dettes et obtention les mains levées afin de rendre possible la réalisation du projet et l’inscription en premier rang en pari passu des nouvelles dettes liées au financement de la cimenterie ». Ces arrangements, faut-il le préciser, ont été faits bien avant l’entrée en bourse de CC et arrangeaient uniquement Lazhar Sta et Belhassen Trabelsi.

Il faut aussi noter ici que le schéma de financement de la cimenterie a été bouclé d’une manière très intelligente. La carrière étant là, le matériel de la cimenterie à construire était financé par des lettres de crédit, non révocables par les banques tunisiennes. Le constructeur est étranger et l’un des meilleurs au monde, avec un prix très bien négocié, d’autant que les négociations sur le prix clé en main se sont faites à un moment où les prix étaient les plus bas au monde et où Carthage Cement était l’unique projet à faire dans le monde.  La gestion de l’entreprise et de sa production était aussi mise sous la surveillance d’un des plus importants cabinets spécialisés au monde et entre les mains du constructeur lui-même pendant 5 années. Les commanditaires de  l’usine étaient même assurés contre tout retard de production et percevraient 1,6 euros pour toute tonne de ciment non produite à partir de la date échéance. Les contrats étaient bien verrouillés et Belhassen avait payé pour cela un grand cabinet international d’avocats la bagatelle de 2 MDT.

GIO appartient bien à Belhassen Trabelsi et cette participation a été gelée. Dixit BCT.

Le second couac pourrait être dans les écheveaux de son montage financier.  Ainsi, s’il y a «des poux à chercher » dans les cheveux de CC, c’est plutôt dans l’actionnariat. Une des parties prenantes dans le capital de Carthage Cement est en effet un fonds d’investissement, vraisemblablement originaire du Golfe. Chez l’administrateur judiciaire, on affirme ne rien connaître de ce fonds,  le «Gulf Investment Overseas » ou GIO et  dont les ordres d’achat des actions de CC avaient été signés, certainement sur procuration, par l’avocat Ferchiou de Tunisie de la façon la plus régulière au monde. L’argent n’a pas d’odeur pour les avocats, comme pour les banquiers d’ailleurs.

On notera que GIO détient 40,43 % du capital de Bina Holding qui détient  elle-même 51,54 % de Bina Corp. Holding. Cela reviendrait à quelque 20 % directement dans CC. De là à penser que GIO est un autre montage financier  malin de Belhassen Trabelsi, le pas a été vite franchi par plus d’un sur la scène financière tunisoise, et le doute persiste et reste fort chez tout le monde qu’il y aurait Belhassen Trabelsi derrière ce fonds.

Au CMF, on nous affirme que la participation de GIO a été depuis quelques semaines gelée sur suspicion de son appartenance à B. Trabelsi. A la Banque Centrale de Tunisie, on nous certifie cependant et d’une manière officielle et  après enquête faite par ses services, que la GIO appartient en effet à Belhassen Trabelsi. Notre même source officielle, nous confirme qu’il a été fait gel de cette participation indirecte de Belhassen Trabelsi  au capital de CC et certains officiels.

Tout cela reste cependant complètement indépendant de Carthage Cement qui travaille sous l’œil d’un administrateur judiciaire nommé par les banques créditrices et dont les travaux avancent, presque conformément au business plan, si ce n’est le retard de 2 mois dû aux perturbations de la Révolution tunisienne.
Nous avons-nous-même rendu visite au siège de CC et au site d’implantation de la cimenterie où nous avons pu rencontrer l’entreprise turque de bâtiment, le représentant du constructeur néerlandais responsable de la construction de la cimenterie et le représentant du bureau suisse de contrôle des travaux. Tous, sans exception, nous ont confirmé de vive voix et dans leurs bureaux sur site que les travaux avancent dans les normes. Nous avons pu aussi visionner et prendre photos du matériel déjà livré et de la montée en construction du four, comme d’autres structures de la cimenterie où les travaux sont à pied d’œuvre, sous la garde de l’armée nationale tunisienne.
 
Belhassen Trabelsi s’est senti floué dans l’affaire du compte courant-associé

Après tout cela, deux questions demeurent objet à critiques. Celle du compte courant-associé et celle de l’endettement de l’entreprise Carthage Cement.
Ce compte courant est né de la nécessité de réduire le capital initial de CC, au 16 octobre 2008, date de la création, de 108,8 MDT, et cela pour permettre l’entrée de GIO. Le capital a ainsi été réduit à 42,480 MDT, le reste  (66,320 MDT) sera mis en compte courant-associé. La réduction du capital était présentée comme inévitable pour donner la possibilité à GIO d’entrer. Après coup, on devine que l’idée du compte courant actionnaire était préméditée. L’idée de Belhassen Trabelsi au début, selon nos sources, était d’en faire un compte convertible en actions pour le revendre à ensuite à des participants étrangers, comme il en avait fermement l’intention. Il avait, un temps et bien avant l’entrée en bourse, reçu offre du groupe «Al Jaber Transport &Contractile» d’Abou Dhabi d’entrer dans le capital de cette cimenterie, pour 73 millions d’Euros, selon nos sources, dont 19 millions d’Euros, justement dans ce compte courant associé. Et c’est cette perspective que l’Emirati entre avec lui dans ce compte courant convertible en actions, qui l’avait dissuadé d’accepter son offre et de préférer la bourse de Tunis, où il croyait pouvoir imposer son dessein de revendre les actions de ce compte au plus fort une fois le projet entré en fonction.

Information prise auprès de l’administrateur judiciaire de Carthage Cement lui-même Hatem Garbouj à propos de ce compte courant associé, il nous explique que le compte courant-associé était, au début, convertible en actions, mais changé non convertible et subordonné à la dette bancaire, suite à un refus du CMF (Conseil du marché financier) de sa convertibilité. Hatem Garbouj nous explique aussi que, dans son dernier business plan, il était clairement dit que le compte courant associé était remboursable aux actionnaires, dès l’entrée de l’usine de ciment en production et sur une période de 12 années. Le compte courant actionnaire est rémunéré au taux du marché monétaire majoré de 3 points avec un minimum de 8%. Les 8 % sont en fait dictés par la fiscalité des CCA. Ces 8% sont pourtant négligeables par rapport au rendement des actions CC qu’ils auraient s’ils n’avaient pas fait la réduction.

 Au 30-06-2010, le compte courant actionnaires se chiffre à 73 414 227 DT, dont 50% au profit de la société Bina Corp. laquelle entreprise est sous administration judiciaire et figure sur la liste des confiscables pour devenir une cimenterie d’Etat.

Belhassen Trabelsi (qui serait entré dans une grosse colère contre l’intermédiaire boursier qui lui aurait suggéré l’idée de la convertibilité et l’aurait accusé de l’avoir floué) étant en fuite, c’est Lazhar Sta qui en profite maintenant, alors que les professionnels auraient aimé lier le remboursement à l’entrée en fabrication et même en phase de vente, de la cimenterie. Sta aurait déjà retiré quelque 2 MDT de ce compte sur les intérêts qu’il a générés.

Une dette contrebalancée par grand excédent de trésorerie.

Reste donc la question de la dette. Il faut dire que  le schéma de financement de ce projet était inédit. Une grande partie (69%) de cet investissement  (543,958 MDT) sera financée par endettement (bancaire et leasing), et le reste sera financé par une augmentation de capital par appel public à l’épargne.  Selon le business plan de la société, la dette financière nette, au terme de l’année 2013, s’élèverait à 364,752 MDT, soit un gearing de 144%.

Chez CC, on estime cependant que «le ratio de gearing de 144% est un ratio très logique et même inférieur à la totalité des sociétés agissant dans le même secteur d’activité ». Et l’entreprise d’ajouter que «le ratio de gearing de 144% de 2013 (soit une année après la fin du projet) est sous entendu un ratio d’endettement de 49,77% par rapport au total de bilan, un ratio très soutenable par la majorité des bailleurs de fonds. A noter que pour le cas de notre société le RBE prévu pour l’année 2013 pour un montant de 174.021.150DT couvre largement le montant de l’annuité bancaire prévue  pour l’année 2013 pour un montant de 73.716.895DT, soit 236%, et dégage un excédent de trésorerie après remboursement de dette de 100.304.255DT. Sachant que le business plan a été fait avec des hypothèses très prudentes et que notre contrat de gestion de la production et de la maintenance avec les Danois nous garantit aussi bien la quantité produite qu’un coût de production maitrisé ».

Reste donc à dire, après certification sur documents et sur la foi solennelle des deux commissaires au comptes de l’entreprise, que la carrière, d’une superficie de 218 hectares, est bel est bien propriété de CC  par le fait du titre foncier n°48843 à Ben Arous. Quant à l’évaluation du gisement devant servir de carrière à CC, elle a été faite par deux experts géologues, de manière contradictoire, et a donné lieu à une valeur moyenne de 308 MDT. Ce dossier de CC est ainsi, à notre avis, clos et ne comporte rien qui puisse nuire à CC, désormais la seconde cimenterie publique.

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